Un pas de trop...(rp avec Yuksu)

Une nuit à bêtises se préparait pour moi. J'entendais ma mère dormir, tout près, son flanc se soulevant régulièrement et paisiblement. Je baissai les yeux et les fermai quelques instants.
Tu n'as rien à craindre, maman. Je reviendrais avant le lever de la nuit, me promis-je en effleurant sa truffe doucement.
Je passai la tête entre les branchages de la pouponnière, les yeux tout ronds. Un astre rond, jaune et très lumineux baignait la clairière d’une incroyable couleur d’or. Mes yeux brillèrent. Je posai une patte, puis l'autre, et sortis discrètement de la pouponnière, aux aguets. Je regardai mon pelage et mon cœur cogna dans ma poitrine ; Étoile de la Nuit m’avait assuré qu’il était blanc ! Et pourtant, là, il était blanc aux reflets d’or pur. Était-ce normal ? Mais je ne pouvais pas reculer maintenant…alors je décidai de continuer.
J’avisai le félin qui gardait l’entrée du camp. Par où allais-je bien pouvoir sortir ? Et ces guerriers qui circulaient dans le camp…d’instinct, je me cachai en silence dans un buisson d’aubépine et grimaçai lorsque ses épines éraflèrent ma peau. Mais un véritable guerrier n’avait pas peur des épines ! Alors j’arrêtai de grimacer et sortis par un chemin d’herbes folles, juste derrière la pouponnière.
La fraîcheur des bois me chatouilla agréablement les narines et je pris plaisir à inspirer profondément. Une bourrasque de vent fit ondoyer gaiement mon pelage. J’avançais d’un pas maintenant ferme et assuré. Je sentis l’odeur de la récente patrouille et la suivis, la queue haute. Quand allais-je être apprenti ? Dans trois lunes ? Cela paraissait si long…et si ennuyeux…et qui serait mon mentor ?
La truffe au sol, je demeurai ainsi dans cette position pendant une dizaine de minutes. Mon pelage avait été malmené par le vent et partait en tous sens. Je devais avoir l’air d’un chat malpropre mais, tant que je ne me faisais pas repérer, ça n’avait aucune importance.
Une autre odeur, pestilentielle, que je n’avais jamais sentie jusque-là, me fit instinctivement reculer d’un pas. Un champ de fleur s’étendait à perte de vue, juste sous mes yeux. L’odeur de la patrouille s’était estompée et aucune truffe à l’horizon pour me barrer la route.
Je souris et sortis la queue haute de ma cachette. Je m’assis, contemplant le magnifique tapis de couleurs qui s’offrait à moi, nimbé d’or satiné.
Soudain, alors que j’étais encore émerveillé devant cette beauté, une silhouette se profila à l’horizon. Un guerrier ennemi ? Ma fourrure se hérissa. Je croyais qu’il était sur nos frontières, et pas un guerrier de notre camp ne surveillait la frontière ! Si je chassais l’ennemi, je serais reconnu en héros ! Alors, je plissai les yeux, me tapis au sol et rampai silencieusement, de plus en plus proche du félin qui, je le voyais maintenant, avait le pelage d’un noir d’encre. Gêné par la propreté qu’il avait offert à son pelage, je m’arrêtai quelques instants pour lisser le mien. Puis, lorsque je fus à quelques mètres à peine, je lui sautai dessus et lui tailladai le museau avec rage.

La femelle noire esquiva mes attaques répétitives sans aucune difficulté. Je crachai de fureur, dépité mais toujours aussi motivé. Me croyait-elle faible ? Eh bien, je lui montrerais qu’un jour, je serais plus puissant que n’importe qui ! Et elle y goûtera…mais je n’avais pas le temps de rappliquer qu’elle disait :
-Tu est bien loin de ton territoire non?
Elle s’assit, sans répliquer. Mes pattes me picotaient à force de penser que je pouvais la vaincre. Elle affichait une mine un peu déconcertée, comme si elle ne savait pas quoi faire de moi. Puis elle reprit, d’un ton las :
-Tu est sur notre territoire, celui du vent... Retourne chez toi, voir ta mère, j'ai mieux à faire...
Je la regardai d’un air incrédule. Ma fourrure se hérissa.
- J’en ai marre qu’on me rejette, j’en ai marre, j’en ai marre ! Juste parce que je suis petit ! C’est injuste ! Alors non, je ne partirais pas ! Et puis tu peux bien te moquer, un jour, je t’écorcherais la peau ! Car notre lieutenant et le vôtre ne peuvent pas s’a…euh…j’ai rien dit ! »
J’en avais trop dit. Même si Étoile de la Nuit m’avait tout dit à propos de Mystère des Oracles et de Plume du Temps, j’avais juré de garder le sceau du secret. Une vague de panique monta en moi et je me mordis très fort la lèvre. Mais, au lieu de quoi, je plantai mon regard dans celui de la jeune chatte noire et plissai les yeux.

La guerrière noire me regarda avec dédain et lâcha d'un ton empreint de mépris :
- Tu semble bien énervé pour un chaton, pour le moment c'est moi qui est la plus forte et tu est sur mon territoire! Si je voudrais, je t'écorcherais la peau... Mais moi, je veut s'avoir qu'es qu'a notre lieutenante?

Je me mordis une lèvre, sentant la colère monter. Je n'avais pas envie qu'elle me considère comme un chaton critiquant Plume du Temps mais, je ne pouvais pas détruire le secret d'elle avec Mystère des Oracles. J'étais à deux doigts de le lui dire pour éveiller tout soupçon de critique désagréable, que je ne pensais pas du tout, mais en l'entendant parler ainsi, je me ravisai. Elle se prenait un peu trop pour la reine du monde à mon goût. Je n'appréciais vraiment pas les félins comme ça. Ils donnaient envie de leur cracher dessus et de les secouer, de leur dire "Regarde autour de toi, y a des gens qui vivent aussi ! Y a pas que toi !" mais moi, je ne pouvais pas faire ça.
Aussi décidai-je d'éviter la question en dérivant sur un autre sujet :

-Je suis le fils de la chef ! Si tu m'écorches, elle, elle te tuera ! fis-je sur le même ton qu'elle, bien décidé à ne montrer aucune faiblesse.

Elle me sauta dessus et me donna un incroyable coup de griffe au ventre. Pour la première fois de ma vie, je vis du sang, mon propre sang, couler le long de mon ventre dangereusement exposé. Alors, je me redressai sur mes pattes et m'accrochai au dos de la guerrière en mordant dans son cou. Le goût amer de son sang à elle picota ma langue et je fronçai le nez. J'avais déjà un avant-goût de ma vie d'apprenti en plein combat ! Mon cœur battait à tout rompre et je me fichais bien de la douleur lancinante qui me parvenait de mon ventre ensanglanté. J'étais pris dans l'excitation du combat et mes yeux brillaient.
 
J'étais loin d'être effrayé, maintenant je savais ce que c'était, de combattre. Les apprenti de mon Clan ne cessait d'en parler. Apparemment, certains parlaient d'une bataille avec le Clan du Vent et mes pattes me démangeaient d'aller leur dire de les attaquer tout de suite. Je n'avais hélas que trois lunes ! ...
Le sang de la guerrière noire collait à mes petites pattes et l'odeur était affreuse. Je plantai mes griffes dans sa chair afin de ne pas tomber, car je savais qu'elle essaierait de me projeter à terre. Tout ça, je le raconterais à Étoile de la Nuit ! Et le Clan du Vent subirait bel et bien une attaque ! Et j'y participerais, parce que j'aurais vaincu cette guerrière ! Je rentrerais au camp, triomphal mais taché de sang...et puis on me demandera ci et ça...je serais traité comme un héros ! Le rêve !
Mais, comme on dit, ne jamais espérer trop vite...

Je frémis. Cette guerrière était cruelle. Je n'avais fait qu'un pas de trop et elle pensait déjà à me vaincre. C'est ainsi que je tombai lourdement de son dos, le flanc contre le sol et le liquide chaud et rouge de mon ventre se déversant sur l'herbe. Je cillai légèrement et me redressai difficilement, puis je plantai mon regard dans celui de l'ennemie :
- Tu comptes me tuer ? Vas-y, fais-le. Fais-le, si tu en es capable ! Mais rappelle-toi : un vrai guerrier ne tue jamais sans une bonne raison ! Et la haine n'est pas une raison ! feulai-je, le pelage hérissé le long de mon échine.
Je lui mordis une patte à pleine dents, la queue gonflée.
- Je ferais tout pour me défendre, tu peux me croire. Allez, attaque !" fis-je en reculant de plus en plus vers la frontière sans qu'elle ne sache pourquoi.
Dans un combat, il fallait être rusé et ne pas écouter sa raison de combattre, sauf si bien sûr notre côté sanguinaire nous guidait. Je n'étais pas sanguinaire et je ne voulais tuer personne. Simplement, si le Clan du Vent voulait la guerre, il l'aurait.

La guerrière noire ne trouva qu'à faire que de grimper dans un arbre pour m'observer ; croyait-elle être camouflée ? Grave erreur. Alors, pour ne pas lui donner l'impression de m'enfuir, je m'assis, la queue enroulée autour des pattes, et plantai mes iris bleu glacé dans les siens, le regard vide. Était-elle surprise ? Consternée ? Agacée ? Pas triste en tous cas...d'ailleurs, dans ses yeux, je crus voir luire une flamme de colère tandis que je la provoquais ouvertement. Je vis ses pupilles se dilater et je crus bien qu'elle allait me sauter dessus. Elle croyait quoi ? Pouvoir m'espionner jusqu'au coeur de mon territoire ? Pour ensuite m'accuser d'avoir violé le sien ? Certes, je l'avais véritablement violé - j'en étais conscient - mais j'étais prêt à en payer le prix. Emporté par l'excitation nocturne, j'avais fait preuve d'une réelle insouciance qui me coûterait hélas énormément. Y allait-il avoir une bataille entre nos deux Clans ? A cette perspective, mon ventre se noua et je déglutis péniblement. Une bataille, par ma faute...

Non. Ce n'était pas que de ma faute. Mystère des Oracles et Plume du Temps y avaient également leur part. Leur amour interdit les avait fait violer les frontières. Une bouffée de rage monta en moi.
Mais qu'aurais-je fait, à leur place ? Si j'étais fou amoureux d'une guerrière ennemie, tout ce que je désirerais, ce serait de la revoir, encore et encore. Mystère des Oracles devait rompre tout lien amoureux avec Plume du Temps. Encore une séquelle dans son cœur... rien qu'à y penser, je sentis ma gorge se nouer d'appréhension. Comment réagirait-il ?

Et moi ? Pourquoi m'en mêlais-je ? C'était leur problème, après tout...mais je secouai vivement la tête et arrachai une touffe d'herbe avec rage, la queue en balancier, les oreilles rabaissées en arrière : si je m'en souciais, c'était pour le bien de mon Clan ! Qui ne s'en soucierait pas ? Mais en même temps...qui se poserait autant de questions ?
Alors, je m'assis à nouveau, dans un mouvement parfaitement calme et coordonné, attendant mon sort, les paupières se fermant peu à peu.